A 41ans, ma vie de passionné peut paraître au plus grand nombre un peu originale, pour ne pas dire marginale. Animé par une attraction quasi magnétique me ramenant toujours au bord de l’eau, mes pensées sont occupées en majorité par mes partenaires de jeux favorites, mes compagnes de 15 ans qui m’ont fait vivre au fil des ans des plaisirs que peu de personnes peuvent appréhender. Cependant, je ne passe pas tout mon temps libre au bord de l’eau, et les carpes, même si elles occupent une part importante de ma vie, ne constituent pas les fondations de ce que j’aimerai être. Et oui, tel le mouton fidèle à sa brebis je suis un amoureux de nature, hétéro jusqu’à la moelle et passionné à en mourir par les femmes. Les carpes et les femmes, les deux passions de ma vie… pas si différentes que cela.
LECON N°1 : La comprendre pour mieux la prendre…
Comprendre les femmes… De tout temps, les hommes se sont trouvés face à ce problème que je pense personne n’a jamais résolu. A l’époque de la parité, je ne suis pas de ceux qui pensent que les hommes et les femmes sont identiques. Et c’est d’ailleurs cette différence qui est passionnante… Comme a pu le chanter Renaud à son époque, « …Aucune femme sur la planète n' s'ra jamais plus con que son frère, ni plus fière, ni plus malhonnête à part peut-être … ». Je vous laisse le soin de compléter cette dernière rime, n’ayant personnellement rien contre la dame de fer. Toujours est-il que les femmes, de part leur différence, font la différence. Je pense d’ailleurs, pour faire un premier lien avec la pêche, que notre passion, par manque de féminité flagrante, manque bien souvent de subtilité, de douceur et de sagesse.
Comprendre les femmes pour mieux les aimer. Voilà un défi qui peut rapidement devenir le défi d’une vie. Au risque de passer pour un jeune romantique rétrograde, être à l’écoute de l’autre me paraît primordial pour pouvoir créer des liens aussi forts que ceux qui tissent l’amour d’une vie… Comprendre pour mieux aimer, comprendre pour mieux la prendre… Ca ne vous rappelle rien ? Il suffit de remplacer la femme par la carpe et vous comprendrez tout de suite là où je veux en venir. La quête de Cyprinus Carpio passe, selon moi, avant tout par la compréhension de ses mœurs, de ses facultés d’adaptation à un milieu donné, de tous ces petits détails déroutants qui font de ce poisson un partenaire de jeu spécial, unique et mystérieux. Comme pour la femme, je ne pense pas qu’une personne sur cette terre puisse dire qu’il ait compris la carpe, pour la simple et bonne raison qu’une vie ne suffit pas. Au quotidien, nos expériences nous plongent chaque jour dans leur univers, mais ces petites malines ne nous livrent leurs secrets qu’au compte-gouttes. Les mystères et les incertitudes qui gravitent autour de la femme et de la carpe sont les raisons premières de notre passion pour elles, nous pauvres pêcheurs (parfois devant l’éternel !) qui tentons vainement de nous mettre à leur niveau.
LECON N°2 : Susciter le désir…
Imaginez : vous avez longuement prospecté pour trouvé THE poste, celui où tous les espoirs sont permis, l’endroit où chaque bip vous fait monter l’adrénaline dans le rouge et où chaque bredouille peut vous faire descendre le confiançomètre à – 10. C’est là que vous allez venir essayer de tromper dame carpe, en mettant en place tous les subterfuges possibles et imaginables pour pouvoir la serrer l’espace d’un instant dans vos bras… Je connais même un accro, à moitié croisé avec un ours, qui a poussé le vice encore plus loin, ne sortant de sa tanière que pour prendre une seule carpe, unique et particulière, dont le sobriquet évocateur d’un roman d'Herman Melville, résonne à lui seul comme une promesse de bonheur !
Quel leurre sera assez puissant pour faire succomber la belle, pour que l’espace d’un instant, elle devienne votre, avant de ne redevenir finalement qu’une carpe aux yeux des autres. Certains cherchent pour cela les solutions les plus tordues, réalisant un vrai travail d’orfèvre pour concevoir leurs montages. D’autres alchimistes jouent de la fiole et de la seringue pour concocter ce qu’ils aimeraient être l’attractant ultime, attirant les carpes comme les moustiques dans les biwis un soir d’été. Pour ma part, je ne suis pas adepte de toutes ces supercheries machiavéliques, préférant bien plus souvent la simplicité et l’humilité. Les meilleurs pêcheurs, que j’ai la chance de connaître, n’usent pas de ces stratagèmes pour arriver à leur fin. Leur charme est ailleurs. Il s’exprime dans un subtil mélange d’observation, de sagesse et de plein de petits détails indescriptibles, presque mystiques. Ce don, beaucoup l’appelle le sens de l’eau…
Et bien figurez-vous que pour la séduction des femmes, je suis persuadé que certains ont eux aussi un don, quelque chose d’indescriptible qui fait que les femmes sont attirées, séduites. Après y avoir longuement réfléchit, je me suis dit que le sens de l’eau si important dans la quête des carpes pouvait se transposer en « sens de l’autre » dans la recherche du bonheur à deux. Et oui, qu’est-ce qui fait réellement craquer les femmes ? Chacun sa méthode, comme pour la carpe : il y en a qui vont tout miser sur leur physique, alors que d’autres vont étaler leur culture et leur intelligence. D’autres encore vont tenter l’approche frontale, sans subtilité, s’étant préparés à pas mal d’échecs avant de tomber sur une âme charitable et consentante…
Non, à mon avis, la vérité est ailleurs. Comme pour la carpe, les détails sont bien plus importants qu’ils n’y paraissent. Un regard, un sourire, une dose d’humour, savoir faire comprendre à l’autre que l’on existe sans pour autant l’oppresser… Toutes ces petites choses prises isolément ne paraissent pas primordiales, mais mises bout à bout valent bien, selon moi, tous les philtres d’amour du monde. Bon, je ne dis pas que si on est le sosie de Bras Pitt, ça n’apporte pas un plus… Mais on a tous vu, un jour ou l’autre, une fille superbe tenant la main d’un type pas terrible dans la rue. Qu’est-ce qu’elle peut bien lui trouver ? En voilà une question qui peut encore se transposer à la pêche. Qu’est-ce qu’une carpe peut bien trouver de si particulier à l’appât qui est au bout de mon cheveu ? Pourquoi celui-là et pas un autre ? Je vous le dis, entre les carpes et les femmes, les clés de la séduction ont des similitudes troublantes. Tiens, une autre question qui revient sans arrêt lorsque l’on veut séduire une belle : « Si j’étais elle, qu’est-ce que je ferais ? Comment est-ce que je réagirais ? »
Pour conclure ce chapitre sur la séduction, je dirais aussi que c’est l’incertitude qui nous anime bien souvent. Qui aujourd’hui peut garantir qu’il saura séduire n’importe quelle carpe dans n’importe quelles conditions ? Personne et heureusement ! Et bien c’est pareil pour les femmes. Attention, comme le dit Bigard, je ne parle pas de la salope d’élevage, non, je parle de la sauvage, la vraie ! On les désire, on fait attention, on se met en quatre pour elles, mais tout en sachant pertinemment qu’elles peuvent tourner les talons et nous laisser planté là ! Cela peut paraître cruel, mais moi, j’aime cette perspective car elle permet de me dépasser chaque jour un peu plus, pour qu’une carpe ou que la femme de mes rêves succombe à mes charmes.
LECON N°3 : Savoir manœuvrer pour ne pas la perdre…
Dans le laps de temps situé entre le premier Bip d’une longue série annonçant l’arrivée de Dame carpe et la mise à l’épuisette du poisson tant convoité, une somme de rebondissements interviennent. La prise de contact tout d’abord, le moment exact où tous les fantasmes emprisonnés dans le son strident du détecteur se concrétisent et laissent place au corps à corps. En une fraction de seconde, des milliers d’idées passent dans notre tête. Les aspects strictement pratiques tout d’abord : Faire attention aux obstacles à proximité, gérer le positionnement des autres lignes, faut-il sauter directement dans le bateau ou attendre un peu, etc… Puis vient la part de rêve : on commence à imaginer le poisson qui se débat à l’autre bout, sa taille, sa variété, sa puissance… à ce moment précis, tout est permis, on est seul avec sa canne, son imagination et une carpe qui peut peut-être être THE carpe.
Vient ensuite le combat proprement dit. Ce terme, je vous le confie, je ne l’aime pas beaucoup. En effet, je ne considère pas les carpes comme des adversaires, mais plus comme des partenaires de jeu, des complices malgré elles. Toujours est-il que ce moment est unique. Le temps que ce concentré de force, de ruse, de technique va prendre dépend totalement de la carpe mais aussi du pêcheur, de son expérience et de sa manière d’agir. Lors de certains combats, le pêcheur qui se sent seul au monde, vit parfois des moments d’angoisse intense, lorsqu’il sent sa ligne frotter des obstacles synonymes de rupture. D’autres fois, c’est une joie immense qui nous submerge lorsque l’on croyait tout perdu et que finalement, la chance tourne et que l’on reprend l’avantage.
Puis vient enfin la concrétisation du rêve, le moment où le poisson bascule dans le filet noir et s’offre finalement à nous, rien qu’à nous. A cet instant, la déception n’a pas sa place, que le poisson soit gros, petit, splendide ou pas très beau, peu importe, la passion pour la carpe, pour toutes les carpes prend le dessus. Alors on la manipule avec toutes attentions, de peur de souiller ce trésor dont la nature nous a fait cadeau, l’espace de quelques minutes. On la regarde, on recherche toutes ces singularités qui font que cette carpe est différente de toutes les autres, on l’admire… Si ça ce n’est pas de l’amour ! Une petite photo pour immortaliser l’instant de cette rencontre éphémère, comme pour graver dans l’histoire ces quelques minutes du bonheur, puis vient le temps de la remise à l’eau. Ce moment est de loin mon préféré, parce qu’il symbolise tout le respect et tout l’amour que je porte à ce poisson : « Au revoir, on se reverra peut-être, la semaine prochaine, l’année prochaine ou dans 10 ans… ». Le No-Kill, c’est une promesse de vie, la réconciliation entre l’homme et l’animal, et quelque part la preuve d’une certaine humilité du pêcheur face à la splendeur de la nature.
Ces quelques minutes de bonheur concentré sont selon moi très comparables avec une vie de couple telle que je l’imagine. Tout d’abord, l’incertitude des premiers instants. Qui peut dire, au premier regard, au premier contact, j’allais presque dire au premier « Bip », qu’il a à faire à la femme de sa vie ou bien à une histoire passagère ? Personne et tant mieux, car tous les espoirs sont permis ! Et puis peu importe en fait. Comme pour la carpe, c’est l’amour pour les femmes qui prend le dessus. Je suis de ceux qui aiment toutes les femmes, elles me fascinent. Une relation avec une femme, quelle qu’en soit la durée et l’issue, c’est toujours un instant de vie unique dont on peut tirer des enseignements indélébiles.
Puis une fois le couple bâti, les moments d’angoisse, de doute s’enchaînent avec les instants de joie intense, de bonheur à l’état pur durant lesquels tout semble possible. Je pense sincèrement que l’incertitude du résultat agit comme un carburant à la passion, tant dans la pêche que dans le partage d’une vie à deux. Il faut sans cesse se dépasser, se remettre en question, utiliser toute son expérience, et surtout savoir accepter l’échec pour rebondir jusqu’au succès tant espéré.
Enfin, il y a la concrétisation du rêve à deux, symbolisé à la pêche par une photographie, qui peut s’exprimer dans un couple de différentes manières. Le mariage en est une par exemple. Tiens, comme c’est curieux, la photo de mariage est indissociable de ce « pacte » scellé entre un homme et une femme. Ca ne vous rappelle rien ? Par contre, un petit conseil aux futurs mariés, évitez de poser sur la photo avec votre future femme comme vous posez avec les carpes, je ne suis pas sûr que Madame apprécie ! Donner la vie à un enfant est une autre concrétisation de la passion qui lie deux personnes. Et oui, quoi de plus beau que de faire des enfants avec la personne qu’on aime ? Et puis, il y a tous les petits détails de la vie de tous les jours, toutes les preuves au quotidien qui nous font dire que sans elle, notre vie serait incomplète. Quand à la preuve ultime, la démonstration implacable que l’amour d’une femme nous a rendu meilleur, elle s’exprime peut-être dans les derniers instants de notre vie, lorsque tout s’achève et que les regrets sont absents, et que l’on peut s’en aller sereinement. Je ne sais pas si je penserai à la pêche sur mon lit de mort, mais en tout cas, je sais que je ne regretterai jamais d’avoir vécu ma passion à fond, et j’espère pouvoir me dire que j’ai aussi su aimer une femme à fond, telle qu’elle le méritait.
Les passionnés que nous sommes tous, pauvres pêcheurs, peuvent paraître aux yeux des non initiés comme excessifs et déconnectés des réalités. J’assume ces excès, je les revendique même, et j’espère pouvoir être aussi excessif dans ma vie « extra-halieutique » avec une femme, avec ma femme. Si je trouve tant de similitudes entre ma quête des carpes et celle des femmes, c’est juste parce que je suis un passionné, un pur et dur, sans concessions. Cependant, les comparaisons peuvent aussi trouver leurs limites. Un exemple, je préfère nettement les carpes bien rondes, bien lourdes et bien nerveuses… Et puis, dans mon exubérance de pêcheur passionné, j’ai aussi appris à relativiser un minimum et à être conscient parfois que finalement, ce n’est que de la pêche. Partager sa vie avec une seule et unique personne présente des enjeux tout de même différents et autrement plus importants. Mon rêve ? Trouver une femme qui pêche et partage ma passion peut-être ? En fait, je ne crois pas que cela soit essentiel. Par contre, ce qui l’est, c’est que ma femme qui partage ma vie accepte ma passion, qu’elle comprenne mon besoin quasi physiologique de vivre aussi avec « mes carpes ». Parce que si elle ne comprend pas cela, et bien elle ne me comprendra jamais complètement
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